Feu! Chatterton : un « Nouveau monde » à l’imparfait

Lorsqu’au cours de l’été 1959, Léo Ferré amorce une chanson à propos de l’Âge d’or, il a une idée simple mais percutante : l’écrire au futur simple.

« … Nous aurons la mer
A deux pas de l’étoile
Les jours de grand vent
Nous aurons l’hiver
Avec une cigale
Dans ses cheveux blancs… »

Léo Ferré, L’âge d’or

Eté 2019. La France suffoque. Le mois de juillet est l’un des plus chauds jamais enregistrés. Dans les Cévennes, les membres de Feu! Chatterton imaginent une chanson à propos d’un Monde nouveau. Ils ont une idée tout aussi simple et percutante : l’écrire à l’imparfait.

« Un vent, un grand vent nouveau
Soufflait sur le pays très chaudement
Dans un bain, un bain de foule dévot
À moitié ébahi, on se mouillait mollement
La glace fondait dans les Spritzs, c’était à n’y comprendre rien
Tout le monde se plaignait en ville du climat subsaharien
On n’avait pas le moral mais l’on répondait bien
À tous les mots, les traits d’esprit du serveur central
Un monde nouveau, on en rêvait tous… »

Feu! Chatterton, Monde nouveau

Cette chanson, Feu! Chatterton la publie en cet hiver 2021. Elle annonce un nouvel album, Palais d’argile. Ce sera le troisième pour ces Parisiens découverts en 2015 avec Ici le Jour (a tout enseveli) et accueillis triomphalement par le grand public en 2018, au moment de la sortie de L’Oiseleur. Palais d’argile approfondit ce sillon. Chez Feu! Chatterton, la chanson française connaît ses classiques (Éluard, Aragon…) mais sait aussi saisir l’air du temps, quitte à emprunter quelques idées aux collègues anglo-saxons. Le nouveau producteur du quintet, le compositeur de musique électronique Arnaud Rebotini, l’a d’ailleurs poussé dans cette direction. Nouveau monde résonne ainsi de guitares blues ou d’effets de claviers qui évoquent la Messe pour le temps présent de Pierre Henry.

De là à dire que ce Nouveau monde n’a rien de nouveau, il y a un pas à ne pas franchir. Badine, faussement désinvolte, la chanson est au contraire très fraîche. Seul cet imparfait répété sème le trouble. Si « Un monde nouveau, on en rêvait tous », qu’est devenu ce rêve ? Que s’est-il passé depuis ? Qu’avons-nous fait du temps écoulé ? La réponse appartient à chacun. En fin de chanson, Feu! Chatterton donne tout de même quelques indices sur son emploi du temps des dernières années : « Se prendre dans les bras / S’attraper dans les bras / Se prendre dans les bras / Ça on le pouvait ». Surtout, les cinq musiciens contredisent joyeusement deux vers du refrain : « Que savions-nous faire de nos mains ? / Presque rien, presque rien, presque rien ». De leurs mains, ils ont fait cette chanson. C’est loin d’être rien…

Photo : Cénel et François Mauger

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