Installation : Benoît Frech fait entendre la nature sans l’humain

Comment représenter le son ? Comment lui assurer une place dans le monde des arts plastiques ? Ingénieur du son, Benoît Frech se veut aussi artiste sonore, voire « plasticien sonore ». Sur les bords du lac Léman, il a rejoint le collectif L’espace enchanté. « Il est majoritairement constitué d’artistes plasticiens, utilisant différents médiums (peinture, photographie, vidéo, sculpture…) » explique-t-il. « Le terme de « plasticien sonore », qui existe depuis longtemps, y prend toute son ampleur. Ça me plait d’être mêlé à ces différents médiums. L’an dernier, j’ai créé les ambiances sonores de l’exposition d’une sculptrice. Je tends vers le plus de collaborations possibles avec des champs d’action différents. »

Cette année, dans le cadre de l’exposition collective « Les Enchantés », visible du 13 août au 11 septembre à Douvaine, à quelques kilomètres de Genève, il présente une installation conçue avec l’étudiante en art Sarah Lacueille. La bande-son est constituée d’enregistrements réalisés dans 3 espaces naturels protégés de la région. Le visiteur entend alternativement un mixage d’enregistrements fidèles à la réalité de ces trois paysages sonores puis leur retouche par Benoît Frech qui en a patiemment retiré tout bruit de moteur. Pendant qu’il écoute, le visiteur peut jouer avec des calques détaillant sous la forme de sonagrammes, ces représentations graphiques du son, les différents composants acoustiques de ce qu’il entend : chants d’oiseaux, cris d’animaux mais aussi passage d’un avion ou écho de l’activité agricole.

« Les gens peuvent tout recombiner et rêver de nouveaux paysages sonores. Ils se rendent compte du principe de « niche sonore » : chaque espèce a sa place dans la bande de fréquence audible. Sur un spectre en hertz, le cri des mouettes est bien séparé du chant des moineaux, qui est lui-même bien séparé des appels des grillons, pour ne rien dire de ceux des chauves-souris, qui sont dans les ultra-sons » détaille-t-il. « Tout ça devient visible. Quand on applique les calques de pollution sonore, par contre, tout se brouille dans une sorte de brume, de nuage. On pourrait comparer ça à une partition musicale sur laquelle on ne cesserait d’ajouter des notes : la lecture devient plus compliquée. »

« Cette œuvre ne se veut pas dépréciative vis-à-vis de la démarche de protection de la nature. Au contraire, l’idée est de dire qu’on pourrait faire plus » continue-t-il. « Je fais le constat qu’on n’est jamais en paix, même quand on est dans un lieu un peu isolé, en tout cas en France ; il y a toujours un avion quelque part. J’ai eu la chance de travailler beaucoup comme opérateur du son dans des films documentaires. Dernièrement, j’étais en Mongolie. J’ai pu contempler des paysages qui étaient – aussi bien pour la vue que pour l’ouïe – totalement dénués de présence humaine. Ça m’a touché. C’est quelque chose que je voudrais partager avec le plus de monde possible, pour que les gens puissent découvrir la nature qui les entoure telle qu’elle est la plus belle. »

Mais l’installation de Benoît Frech n’a pas que des visées esthétiques… « Cela a été bien documenté : la pollution sonore oblige la nature à se transformer. En milieux urbains, les chants de certains oiseaux mutent pour être mieux entendus. Dans les océans, les mammifères marins sont perturbés par les bruits de moteur et les sonars. On se retrouve avec des animaux qui viennent s’échouer sur les plages ou se perdre dans les rivières… » rappelle-t-il. « Moi, j’organise des balades sonores dans un bois proche de mon atelier et je mets en exergue avec des géophones, des micros qu’on installe dans le sol, les vibrations de la route qui se trouve à quelques centaines de mètres de là. La pollution sonore est donc aussi dans la terre. Il y a deux ans, j’ai fait des enregistrements sous terre à l’occasion du 14 juillet et le feu d’artifice du village résonne d’une manière assez impressionnante. On est en droit de se poser la question des éventuelles perturbations dans la vie des animaux qui vivent sous terre, notamment les petits mammifères dans les terriers. On parle de « pollution sonore », ce n’est pas pour rien. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin… 
Le site web de Benoît Frech
Le site web du collectif Espace enchanté

Commentaires

  1. Benoit Frech a écrit :

    Merci François de ton écoute et du partage de ma démarche.

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