Michael Begg : « Ma musique ne donne pas d’ordres »

Issu de la promotion 1984 du Chelsea College of Arts de Londres, Michael Begg fait partie de la génération de compositeurs contemporains dont les énormes progrès de l’informatique musicale au tournant du siècle puis l’irruption de l’urgence environnementale ont façonné le parcours. Lauréat du prix New Music Scotland 2018 pour Titan, une pièce que lui avait commandée le festival Sonica, l’artiste écossais s’est créé au fil des années un univers singulier, situé à l’intersection de l’ambient, de la musique concrète, d’une nouvelle musique de chambre et des questionnements de notre temps. Il publie ce printemps Sounding The Ice Factory, un album de musique électronique issu d’une collaboration de longue durée avec des spécialistes des milieux marins.

« Ce n’est ni de la science ni de la sonification » dites-vous à propos de cet album dans ses notes de pochette. Comment le décririez-vous alors ? De quoi vous êtes-vous inspiré ?

Michael Begg : « C’est de la musique, avant tout. Il ne s’agit pas de sonification de données. Je préfère les termes « composition de données ». La sonification est fidèle à toutes les données transmises par le système. La composition, tout en restant fidèle à ce processus, tente, musicalement, de devenir également fidèle au récit de la recherche et à ses implications. Tout cela a commencé avec mon installation, Titan, pour Sonica, un festival de Glasgow, en 2017. Cette installation était située dans la timonerie d’une grue de construction navale et avait nécessité que je passe un été au cœur de cette ancienne structure métallique à mesurer sa résonance et à utiliser tous les moyens possibles à ma disposition pour enregistrer le son de la structure, le vent qui la traversait et le grand fleuve sur lequel elle se penchait. En studio, au moment d’assembler tous les enregistrements, j’ai été frappé par la façon dont tout semblait s’aligner harmoniquement. La grue était au diapason. Plus tard, un ingénieur s’est moqué de moi pour avoir été si stupide : je n’avais pas réalisé qu’une bonne pièce d’ingénierie serait – bien sûr ! – harmoniquement, mathématiquement vraie. J’ai appris de cette expérience que le monde a une bonne et vraie voix, une voix qui est parfois plus convaincante que la définition par un compositeur de ce que cette voix pourrait ou devrait être. Les données étant le moyen par lequel nous semblons collecter le plus d’informations sur le monde, je me suis intéressé au développement de logiciels qui pourraient traduire ces données, qui me permettraient de les transformer en informations musicales et me donneraient la liberté de créer des compositions d’ensemble, comprenant de l’électronique abstraite, des notes sur des partitions et des traitements d’ondes. Je me suis tourné vers la communauté qui travaille sur l’open data et j’ai commencé à expérimenter autour de toutes sortes de données : sur la qualité de l’air, à partir des bulletins météorologiques, des positions des satellites de surveillance de la Terre, des moniteurs de tremblement de terre, des suivis de vol, des enregistrements de marée… Tout ce sur quoi je pouvais mettre la main. Bien qu’il n’ait jamais été conçu comme une forme d’activisme, c’est ainsi que mon travail a évolué. Il est aujourd’hui devenu une forme de témoignage, que je cherche à rendre vrai et fidèle, à propos d’un monde en crise profonde. »

Sounding The Ice Factory est le fruit d’une résidence au sein de l’European Marine Board, qui se définit comme « le think tank le plus important en Européen sur la question des sciences maritimes ». Que fait un compositeur dans ce genre d’environnement ? Quelles relations tisse-t-il avec les chercheurs ?

Michael Begg : « Cette résidence, comme celle que j’ai faite auparavant avec le programme ARTic du Royaume-Uni, m’a permis de nouer des relations avec des scientifiques. Le programme ARTic et le Marine Board ont été très avant-gardistes dans leur appréciation de l’importance du dialogue entre arts et sciences. Dans chaque cas, j’assure la liaison avec les scientifiques, ils me font le récit de leurs recherches et nous commençons à explorer leurs données. L’objectif est de trouver la meilleure façon de les formater pour qu’elles soient lues par le logiciel. A partir de là, le processus devient délicat et immersif. Nous cherchons à déterminer la palette sonore et comment appliquer (ou non) la théorie musicale pour enrichir le son sans contredire les données elles-mêmes. Nous entrons dans une sorte de no man’s land, où les scientifiques et moi devons abandonner ce qui fait notre routine pour nous rencontrer sur un terrain étrange mais commun où il y a des données, du son et un message à transmettre à l’auditeur. Ce processus est hautement sensible et peut être profondément gratifiant. Les données fournissent un vocabulaire commun pour la science et l’art. J’invite les scientifiques dans un lieu où il est possible pour eux de considérer leur travail de manière créative, subjective, tandis que je relève le défi d’appliquer rigueur et discipline à la composition. En cours de route, j’ai le privilège d’en apprendre davantage sur le travail des scientifiques. Dans le cas d’Ice Factory, j’ai beaucoup appris sur les complexités de l’Antarctique. Un document de six pages, comprenant des commentaires des scientifiques, accompagne l’enregistrement. Cela aide à faire la lumière sur les interactions souvent non saisonnières du vent, du courant, de la salinité, de la profondeur de la thermocline, de la croissance de la polynie, et cetera, qui deviennent de plus en plus fragiles et qui jouent toutes un rôle essentiel dans la protection de la calotte glaciaire et la régulation des courants mondiaux. L’European Marine Board a soutenu ce processus et a veillé à ce que notre objectif principal – permettre à la science d’atteindre un public plus large – soit atteint. Ils ont veillé à ce que mon travail soit reconnu comme une action visant à réaliser l’un des objectifs de la Commission européenne : restaurer nos océans et nos eaux, en contribuant spécifiquement « à la mobilisation et à l’engagement du public ». Ce qu’ils soutiennent, en fin de compte, c’est mon développement de nouvelles formes musicales qui parlent de la solastalgie, de l’anxiété et de notre réponse créative au glissement dans l’anthropocène. »

Dans vos notes de pochette, vous décrivez très précisément la formation et la désintégration de la glace. Comment avez-vous acquis ces connaissances ? Avez-vous déjà été en Antarctique ?

Michael Begg : « Malheureusement, je n’ai pas encore atteint l’Antarctique. C’est un endroit difficile d’accès et les navires autorisés à s’y rendre ont tendance à être pris d’assaut par des chercheurs de diverses institutions, qui ont tous un travail vital à faire et qui doivent tous se battre pour avoir de la place sur le bateau. J’aimerais beaucoup y aller. Cela peut encore arriver. »

L’album est un recueil de morceaux qui hésitent entre ambient et musique de chambre, toutes feutrées et calmes. Pourtant, dans les notes de pochette, vous vous inquiétez sur les conséquences de la fonte des glaces de l’Antarctique. Quel effet voulez-vous avoir sur l’auditeur ?

Michael Begg : « Les alarmistes ne manquent pas et il y a de quoi s’alarmer. Mais avec tant de gens qui crient et aboient des ordres à propos de ce que nous devons et ne devons pas faire, il devient difficile de penser clairement. Les scientifiques du comportement nous apprennent que les humains n’aiment pas qu’on leur dise quoi faire. Les médias sociaux regorgent de ces voix qui aboient sur ce qui doit être fait. Très peu sont réellement dans le « faire ». Mon travail ne donne pas d’ordres, il ne crie pas et n’exige rien de la part de l’auditeur. Il lui présente un reflet de ce qu’il se passe. L’Antarctique, en particulier, résiste à toute tentative d’imposer un récit simpliste du changement. C’est trop complexe. Les multiples éléments dépendent les uns des autres. Ce que nous en percevons est cette série d’interactions et de dépendances qui s’érodent lentement. Je veux que l’auditeur s’engage émotionnellement et que sa réponse se situe à ce niveau. J’aimerais que ma musique résonne d’abord avec sa propre anxiété. J’aimerais qu’il acquiert suffisamment de perspicacité pour développer de l’empathie, un sens de l’attention. Nous sommes moins enclins à faire du mal à ce qui nous tient à cœur. Je pense que c’est là le véritable fondement du changement. »

Photo de têtière : François Mauger
Portrait de Michael Begg : Ben Millar Cole/The Wire
Pour aller plus loin...
La page Bandcamp de l'album
La présence de Michael Begg sur les réseaux sociaux
La page Wikipedia consacrée à Michael Begg

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