Richard Dawson & Circle, le peuple des plantes

Peu à peu, les végétaux retrouvent leur place dans notre imaginaire. Dans le monde réel, physique, ils sont tout pour nous : chacune des particules qui nous compose vient, d’une manière plus ou moins directe, de ces êtres apparus sur terre plus de 400 millions d’années avant nous. Mais, au cours des derniers siècles, ils avaient quasiment disparu de notre cosmogonie. Il semble que le mouvement s’inverse. Richard Powers les a fait revenir en littérature avec L’arbre-monde (1998) ; plusieurs films leur offrent de beaux rôles ; Emanuele Coccia les élève au statut de sujets philosophiques (La vie des plantes, une métaphysique du mélange, 2016)… En musique, après Conference of Trees de Pantha du Prince en 2020, Labotanique a publié cette année un album dont chaque titre renvoie à une plante. Richard Dawson & Circle font de même mais dans un genre tout à fait différent.

Richard Dawson est un chanteur anglais qui pratique une forme de folk expressionniste si ouverte, si large d’esprit que le troubadour de Newcastle a souvent affirmé que son groupe préféré est une formation de hard rock progressif finlandaise, Circle. Circle, de son côté, s’est fait connaître par des productions si nombreuses (plus de 50 albums au compteur), si virtuoses et si émancipées que son chef d’orchestre ne cessait de clamer ces derniers temps sur les réseaux sociaux sa fascination pour Richard Dawson. Ce qui devait arriver arriva : les musiciens se sont réunis dans un studio scandinave, juste avant les confinements.

Sept titres, d’une longueur variant entre 5 et 12 minutes, sont issus de ces sessions. Baptisé Henki, l’album s’ouvre en douceur sur Cooksonia, du nom d’une plante préhistorique, dont les scientifiques pensent qu’elle aurait été la première à posséder une tige. Suit Ivy, qui évoque l’antiquité, Dionysos (qui est souvent représenté couronné de vigne (« ivy » en anglais) et Midas. Silene renvoie au Compagnon rouge (Silene dioica), dont une graine enterrée il y a 32 000 ans a récemment produit une nouvelle fleur. Silphium conte l’histoire d’une plante si appréciée dans l’antiquité pour ses vertus aphrodisiaques qu’elle a disparu. Methuselah est le nom d’un Pin bristlecone (Pinus longaeva) de Californie, qui aurait aujourd’hui 4 853 ans, ce qui en ferait l’un des arbres les plus âgés de la planète. Lily (le « lis ») parle de la mort, avec une grande sensibilité. Pitcher fait allusion à la Sarracénie pourpre (Sarracenia purpurea), une plante carnivore de Terre-Neuve.

Naturellement, derrière ces prairies arborées, derrière ces forêts de notes touffues et élancées, se cache l’humanité. Dawson, que la presse britannique considère comme l’un des plus grands poètes du royaume, parle en fait de montée des eaux, de cupidité, de réfugiés, de transformations fatidiques… Ainsi, on ne sait qui est le héros de Methuselah, du botaniste Donald R. Currey, de l’arbre millénaire ou de la planète terre :

« Étudiant le climat du Petit âge glaciaire
Grâce à un bourse de la fondation nationale pour la science
Donald Currey en vient à croire que les pins de White Mountain
Sont plus âgés qu’on ne le pensait auparavant
Il n’y a qu’ici qu’il peut savoir
Comment était le temps
Sept cents ans avant
À la recherche des plus vieux bristlecones vivants
Sur un ancien glacier de la chaîne du Snake Ridge, au Nevada
Tout à fait à son insu, Donald Currey a abattu l’arbre qu’il cherchait
Pour obtenir une coupe complète
Seulement après sa mort
A-t-il sur qu’il avait
Ce qu’il cherchait
Ne me vois-tu pas ?
Je suis à la limite, je suis à la limite
Ne m’entends-tu pas ?
Je suis à la limite, je regarde par-dessus
Ne me sens-tu pas ?
Je suis à la limite, je suis à la limite, je suis à la limite
Dévale le flanc de la montagne
Regarde en l’air et tu me trouveras là
Sifflant à travers tes vêtements
Cage thoracique, fleurir dans la neige
Après que tes entrailles soient devenus un festin
Pour les chacals et les corbeaux
Ta chanson résonnera d’en bas
Ne me vois-tu pas ?
Je suis à la limite, je suis à la limite
Ne m’entends-tu pas ?
Je suis à la limite, je regarde par-dessus
Ne me sens-tu pas ?
Je suis à la limite, je suis à la limite, je suis à la limite »

Qui s’exprime ici ? Et, question annexe, a-t-on encore besoin de héros ou de chansons qui ne parlent que d’une voix ?

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
La page Bandcamp de Richard Dawson & Circle

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