The Weather Station : un disque atmosphérique pour chanter le climat

Tient-on là l’un des meilleurs albums de l’année 2021 ? Il est peut-être trop tôt pour le dire. Mais la réédition du disque dans une édition complétée par 9 prises alternatives, 8 mois seulement après sa sortie initiale, en atteste : Ignorance, le cinquième album de The Weather Station, rencontre un accueil enthousiaste des deux côtés de l’Atlantique.

The Weather Station est le groupe de Tamara Lindeman, chanteuse et comédienne trentenaire basée à Toronto. Ses premiers albums sonnant comme des aventures solitaires, ils ont vite été classés au rayon folk. Mais les choses ont changé. Depuis le précédent, The Weather Station, paru en 2017, les arrangements tendaient à s’étoffer. Sur ce nouveau disque, le groupe qui entoure Tamara (deux batteurs, une guitariste, un bassiste, un saxophoniste, un claviériste et flûtiste) s’impose pleinement. Les orchestrations combinent richesse et finesse, regardant dans le rétroviseur – notamment vers les grandes heures synthétiques de Talk Talk (influence frappante dès les premières secondes) ou les échappées libres de Joni Mitchell, à l’époque où elle s’aventurait sur les traces de Charles Mingus – pour mieux peindre le présent.

Pourquoi en parler ici ? Mais justement parce que sous des dehors pop, Ignorance traite de la crise que nous traversons. Depuis plusieurs années, Tamara Lindeman se consacre en effet à l’étude des changements climatiques, en assistant à des réunions publiques ou en organisant des tables rondes avec d’autres musiciens et militants à Toronto. Là où l’auditeur inattentif n’entend que des bluettes douces-amères, la chanteuse parle du chaos croissant et des fissures qu’il crée dans nos vies.

Parfois, les chansons se font plus précises, plus acides. Robber, la plage d’ouverture, évoque sans en avoir l’air notre acceptation du système qui nous vole notre avenir. Parking lot raconte l’observation douloureuse d’un oiseau juste avant un concert. Atlantic répète sur un rythme presque dansant ce refrain glaçant :
« Je pense que je devrais me débarrasser de tout cette mort
Je devrais vraiment savoir aller au-delà des gros titres
Est-ce important si je vois ?
Non, vraiment, je ne peux pas juste me couvrir les yeux ?
Oh, dites-moi, pourquoi je ne peux pas me couvrir les yeux ? »

Ignorance est un disque à la fois caressant et triste, lumineux et sombre, à l’atmosphère paradoxalement réconfortante. Les mots et les mélodies ne cessent de nous émouvoir et – Tamara Lindeman le suggère – c’est par l’émotion que viendra le changement. Fat Possum, le label du bluesman R.L. Burnside, a bien raison de proposer une nouvelle édition de ce chef d’œuvre discret qui, dans la catégorie qu’il contribue à forger (il faudrait pour la circonscrire combiner les mots « pop », « folk », « jazz » et quelques adjectifs tels que « philosophique » ou « humain »), mérite déjà le statut d’album du mois.

Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de The Weather Station

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