Ghost in the Loop : «  Jouer sous un glacier m’a forcé à me concentrer sur l’instant présent »

Ghost in the Loop aime les sommets. Le premier album sous ce nom publié par Aurélien Buiron avait été enregistré sur le plateau de Bure, parmi les radiotélescopes qui dominent la station de sports d’hiver de Super-Dévoluy. Pour le nouveau, le musicien isérois est allé dans le sud de la Suisse, quasiment à la frontière italienne. Il en ramène six longs titres, issus d’énigmatiques enregistrements de terrain rehaussés de mélodies synthétiques, qui paraîtront très prochainement sur le label de musique ambient Mare Nostrum. Ses explications…

Où exactement êtes-vous allé enregistrer ce « Chant du glacier » ?

Aurélien Buiron : « Moi et mes amis, le photographe Fabrice Buffart et le vidéaste Hugo Préverand, nous nous sommes rendus au glacier de Zinal. C’est dans le Valais, en Suisse. C’est un glacier qui a la particularité d’être relativement accessible à pied. Il n’est ni dangereux ni compliqué d’y accéder. Tous les ans, après la fonte du glacier en été, la grotte de glace prend chaque hiver une forme différente. C’est un paysage très changeant d’une année à l’autre. Quand nous nous y sommes rendus en mars 2023, la grotte sous le glacier ressemblait beaucoup à une espèce de très grand entonnoir, qui s’ouvre sur la langue du glacier, sur le devant, et qui s’enfonce sous la glace sur une soixantaine de mètres. On est vraiment sous des milliers de tonnes de glace, sous une espèce de voûte bleutée qui étincelle. C’est un endroit sublime et très inspirant. »

Lorsque vous y avez déposé votre matériel, vos compositions étaient-elles déjà écrites ?

Aurélien Buiron : « Non, pas du tout. Musicalement, je n’avais rien préparé. Je m’étais quand même entraîné quelques semaines avant avec mes micros spécifiques, des hydrophones et des micros de contact, pour être sûr que mon matériel fonctionne. Je m’étais entraîné à composer et enregistrer de la manière la plus instinctive et rapide possible en extérieur. Je commence à avoir l’habitude de faire ça parce que ce n’est pas mon premier projet de ce genre. Mais, pour le reste, je ne suis entré dans la grotte avec aucun matériel musical préenregistré. Deux morceaux ont été improvisés sur place. Ce sont les deux singles sortis récemment : L’imaginaire des glaciers et Le chant de la glace. Les autres morceaux de l’album sont issus des enregistrements faits dans le glacier : les sons de la glace, ses craquements, le bruit de l’eau qui coule… Je les ai synthétisés en postproduction pour pouvoir construire de nouveaux morceaux. »

Qu’est-ce que cela change, de travailler dans un lieu pareil ?

Aurélien Buiron : « L’inspiration n’est pas la même qu’en studio. La manière dont je compose à la maison et la manière dont je compose dans ces environnements-là sont complètement différentes. C’est compliqué d’enregistrer dans des conditions aussi extrêmes, avec des températures négatives, un environnement assez hostile aux appareils électroniques et beaucoup d’eau. Jouer sous ce glacier m’a forcé à me concentrer sur l’instant présent, à pleinement en profiter, à ne pas penser à ce que je vais faire des enregistrements… Etant donné que je suis très limité en termes de temps (parce que, bien sûr, on ne peut pas rester plusieurs jours sous un glacier, on n’y a passé que 6 heures), je m’oblige à faire un morceau dans un laps de temps très court puis à le proposer à l’écoute. Ça me force à accepter les imprévus, à composer avec la nature, tout simplement, et à me laisser porter par l’environnement. Quand je joue chez moi, je ne fais pas du tout les mêmes types de morceaux. »

Comment va le glacier de Zinal ? Est-il l’une des prochaines victimes du réchauffement climatique ?

Aurélien Buiron : « Ils le sont tous ! J’ai eu la chance d’échanger quelques mots avec le docteur Heidi Sevestre, qui est une très grande glaciologue française et qui vient de sortir un livre qui s’appelle Sentinelle du climat. Avant de me lancer dans ce projet, je lui ai demandé si elle aurait des articles à me conseiller pour que je puisse, personnellement, mieux comprendre l’impact du réchauffement climatique sur les glaciers. Elle m’a envoyé le « State of the cryosphere 2022 », un rapport écrit par des scientifiques du monde entier sur l’état des glaces dans le monde. Ce rapport est plus qu’alarmant. Le glacier de Zinal fond. Tous les ans, il recule. Un guide local m’a expliqué que, tous les ans, il faut marcher un petit peu plus pour y accéder. Visiblement, il est encore en relativement bonne santé mais le réchauffement climatique se fait bien sûr sentir. Si on continue au même rythme, on ne pourra bien évidemment pas rester au-dessous des 1,5 degrés de réchauffement climatique et, d’ici la fin du siècle, il n’y aura plus de glaciers dans les Alpes. »

Quel impact ces connaissances scientifiques ont-elles sur votre musique ?

Aurélien Buiron : « Au tout début, je ne pensais pas faire un album alarmiste sur le réchauffement climatique. Quand j’ai commencé à m’entraîner, je me suis rendu compte que la question allait souvent revenir. Je me suis dit que, quitte à enregistrer sous un glacier, il fallait que j’en parle. Parce que c’est important. L’idée d’utiliser des titres en français s’est avérée assez judicieuse pour faire ressentir, ressortir une émotion. Plus qu’une émotion, c’est parfois un cri d’alarme. Je pense notamment à Murmures et lamentations, où on entend clairement le glacier fondre, craquer, disparaître… La question du réchauffement climatique a, au final, eu un assez grand impact sur la manière dont j’ai écrit et arrangé les morceaux. Ce disque est ma modeste contribution à la diffusion de ce message. »

Photos : Fabrice Buffart
Pour aller plus loin...
Le site web du label Mare Nostrum

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