Guillaume Hermen : « Thoreau était conscient du concert que la nature donne au quotidien »

Lorsqu’il s’agit de retrouver le chemin des bois, il n’y a guère de point de point de repère plus évident que la petite cabane où l’essayiste états-unien Henry David Thoreau a passé deux ans. Son récit, Walden ou la Vie dans les Bois, a déjà inspiré de nombreux artistes, comme le compositeur Loïc Guénin ou l’ensemble Liken, épaulé par le chanteur Albert Marcoeur. Le compositeur Guillaume Hermen s’est également lancé dans l’aventure, en entraînant à sa suite des classes d’écoles primaires, de collèges, de lycées, de conservatoires ou encore des chœurs amateurs, tous issus de la région Occitanie. Les huit premiers chapitres du livre ont ainsi donné naissance à Walden Voices, un disque produit par le centre national d’art vocal Les Eléments, où les enregistrements de 140 timbres de voix et d’une constellation d’instruments ont été retravaillés et imbriqués sous le chant de la soprano Cécile Dibon-Lafarge et de la mezzo-soprano Corinne Bahuaud. Le compositeur relate cette aventure collective…

Qu’est-ce qui vous a donné envie de composer une œuvre autour du Walden de Thoreau ?

Guillaume Hermen : « Je me suis senti très proche de l’auteur, avant de choisir l’œuvre. Je me sens en adéquation avec ses problématiques, sa personne. Je me suis reconnu dans son rapport au réel, à la nature. Sans parler d’instrument, de partition, il est très musicien dans la manière dont il décrit le réel, ses perceptions. Il y a une grande sensibilité dans tout ce qu’il décrit. Il était complètement conscient du concert que donne la nature au quotidien. C’est une forme de perception qui me parle de plus en plus, alors que d’autres formes de perception dans la musique me parlent de moins en moins. Ensuite, ce qui m’a ramené à Walden en particulier, c’est que je devais rencontrer beaucoup de monde. J’ai vu des classes d’âges différents, j’ai vu des milieux sociaux différents, des gens de la campagne, de la ville, des quartiers, du centre-ville… Il me fallait quelque chose d’intéressant pour tout le monde. J’ai vu dans ce récit à la fois des choses extrêmement concrètes, comme justement, pour des enfants, le fait de construire soi-même sa cabane, de cultiver soi-même son jardin et d’écouter la nature. J’ai pu travailler sur certains chants d’oiseaux de Walden avec des classes, notamment, des classes d’enfants de l’Ariège. On a mis des mots du récit de Thoreau dans le contour mélodique de ces chants d’oiseaux. Les enfants les ont chantés en situation de prise de son radiophonique. Il y avait un côté très concret : on écoute des choses, on les ralentit, on les comprend, on les chante (dès lors qu’on les met à notre vitesse, on peut se les approprier avec le corps et la voix d’un être humain). Il y avait aussi des éléments plus réflexifs, philosophiques, que j’ai pu aborder par exemple avec les lycéens de Toulouse. En guise d’entrée dans le récit, j’avais sélectionné de petits extraits du texte. Ils les ont mis en musique puis je les ai amenés sur mes territoires de matière sonore, de texture… Je pense aussi aux collégiens de Tarbes, avec qui on a construit des balais, avec lesquels on a imaginé des instruments et des sons grattés, des son frappés, des sons graves, medium, aigus. On s’est mis à jouer de la musique avec ces balais de fortune. »

Au premier abord, le résultat de tous ces ateliers est paradoxal : Thoreau cherchait la solitude, vous nous faites entendre la multitude, il recherchait le contact du sauvage, vous nous immergez chez les humains…

Guillaume Hermen : « Oui, c’est aussi une contradiction qu’il y a chez Thoreau : s’il avait suivi sa feuille de route initiale vers la solitude pure, il n’aurait pas invité des gens dans cette cabane. Il dit lui-même qu’il n’est pas un ermite de nature. Il a besoin de recueillement, de solitude, de méditation mais il garde un contact avec les êtres humains, notamment à travers ses lectures. Il parle d’auteurs qui l’ont marqué, Homère ou d’autres. Le cœur de sa contradiction, c’est sa nécessité d’écrire (et donc d’être lu). S’il avait suivi son propos, on n’aurait aucune trace de lui. Mon œuvre est aussi contradictoire que celle de Thoreau : on s’est inspiré de la nature, j’ai tenté de créer un moment méditatif sur la continuité temporelle qu’on ressent quand on l’écoute mais, bien évidemment, les voix restent humaines, les problématiques restent humaines et le disque est matériel. Si on cherche une contradiction, on va la trouver très rapidement. »

Est-ce que ce grand projet, qui a duré plus de trois ans, vous a changé, vous et les autres participants ?

Guillaume Hermen : « Les participants, oui, j’espère que cela les a changés… Ce projet avait plusieurs objectifs. Le premier était de faire rayonner Walden, son auteur et ses problématiques. J’ai trouvé intéressant de confronter les participants à quelqu’un qui a vraiment vécu sa vie comme il voulait la vivre, de façon à la fois poétique, philosophique, naturaliste… Je suis arrivé dans les groupes ou dans les classes en disant « Voilà, moi, je me passionne pour ce récit-là, lisons-le, lisez-le », comme un conseille un livre à des amis parce qu’il nous a touché. Avec les plus jeunes, on est rentré dans le récit en essayant de percevoir et de ressentir ce que lui a pu percevoir pendant ses expériences et en s’arrêtant sur les conclusions qu’il en a tirées. Je suis certain que les plus jeunes ont été bouleversés parce que je l’ai immédiatement ressenti à travers leur voix. C’est ce qu’il y a pour moi de plus fort dans les interventions que je mène avec le public : sentir que ce que vous proposez comme expérience ouvre un horizon et modifie ensuite des capacités d’expression et – pourquoi pas ? – d’invention. Pour les groupes dont j’ai été le plus proche, les résultats ont été immédiatement palpables. En ce qui me concerne, le travail que j’ai fait avec les enfants autour des oiseaux, je l’avais déjà fait en Corrèze avec des oiseaux présents en France. C’est un travail qui m’a passionné dès le départ, que j’ai continué pour Walden voices et que j’ai envie de prolonger. Je suis encore bouleversé par l’expérience. J’ai beau l’avoir fait des centaines de fois, je suis encore émerveillé quand je ralentis un chant d’oiseau et que j’entends son extrême richesse. Par ailleurs, tout ce qu’il y a eu d’humain dans les interventions, tous ces moments où vous sentez qu’il se passe quelque chose vous marque aussi à jamais. On aborde des musiques contemporaines, des musiques expérimentales. Parfois, il est bouleversant pour les gens que j’ai en face de voir que ces musiques qui sont considérées comme hermétiques, voire comme n’étant pas pas de l’art ou de la musique, peuvent devenir très concrètes, parce qu’elles sont reliées à des respirations, des pulsations, des battements de cœur. »

Photo de têtière : François Mauger
Autres photos fournies par les Eléments (dont une photo de Florence Bourdin)
Pour aller plus loin...
Le blog des Eléments à propos de l'odyssée Walden

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