Grégoire Lorieux : « En forêt, on amène le public à apprécier le silence »

La saison est à nouveau aux longues promenades nocturnes sous les arbres, aux « Nuits des Forêts ». Une association a d’ailleurs adopté ce nom en 2021 et a lancé un festival national, qui organise rencontres et spectacles dans toute la France, de la forêt du Parc national des Calanques, près de Marseille, à la forêt de Nieppe, près de la frontière belge. C’est la forêt de Chantilly, dans l’Oise, que le collectif l’Itinéraire a choisi. Il y donnera trois concerts le 17 juin. Discussion avec son co-directeur artistique…

En septembre dernier, vous lanciez un nouveau festival, Mondes sonores, en forêt d’Orient, dans la région de Troyes. Vous jouez en forêt de Chantilly au mois de juin. Qu’est-ce qui vous attire ainsi dans les forêts ?

Grégoire Lorieux : « Les forêts sont des lieux pleins de profondeur historique, symbolique et psychologique. Ce sont des havres de paix, d’oxygène et de silence. »

Dans ces lieux de silence, vous venez faire de la musique…

Grégoire Lorieux : « Oui, on y va pour faire de la musique, pour produire des sons qui vont amener les spectateurs à écouter. On ne fait pas de la musique pour le plaisir de faire de la musique. Ce n’est pas tout à fait la même démarche que les gens qui font installer un piano en forêt, qui ajoutent des lumières et qui jouent là. Notre envie, c’est que la forêt ne soit pas un décor. On va interagir avec la forêt, comme avec tous les lieux naturels, quels qu’ils soient, et on va amener le public à apprécier le silence. Paradoxalement, on écoute différemment le silence qui vient après la musique. »

A Chantilly, vous reprenez une pièce que vous aviez donnée en forêt d’Orient…

Grégoire Lorieux : « Effectivement, on reprend Etre oiseau, qu’on avait déjà joué en Forêt d’Orient, mais dans une autre formation. Le principe est le même : c’est un rituel de transformation en oiseau. En Forêt d’Orient, c’était en Traquet rieur. Cette fois, on se consacre au Pluvier, l’un des cinq oiseaux dont on sait qu’ils ont disparu de France depuis quelques années. Les musiciens jouent le rôle de ces oiseaux disparus. Mais c’est aussi un rituel d’adieu, comme le font ceux qui procèdent à des funérailles de glaciers. »

Vous donnez également une pièce au titre évocateur…

Grégoire Lorieux : « Trame noire est un concert nocturne. Pour Trame noire, je m’inspire de l’idée de corridor écologique pour lutter contre la pollution lumineuse. Effectivement, on va être en pleine forêt, complètement isolé du reste. Mais j’aimerais que ces corridors soient aussi des corridors de silence. On travaille en négatif sur l’écoute de la forêt. La musique est là pour réveiller l’oreille, réveiller l’écoute, puis laisser revenir le silence derrière. A côté des trames vertes, bleues ou noires, la notion de trame blanche, ou trame silencieuse, émerge depuis quelques années. Je trouve que c’est une idée très poétique de créer un corridor écologique de silence, même si concrètement c’est probablement difficile, tant les activités humaines sont répandues sur la terre et dans le ciel. C’est même utopique, mais tellement stimulant pour un musicien… »

Qu’est-ce qui a changé, dans votre rapport à la nature, ces derniers mois ?

Grégoire Lorieux : « L’expérience du festival en Forêt d’Orient a été très forte. Sa préparation a été passionnante. En travaillant avec tous les acteurs du Parc Naturel Régional, j’ai énormément appris. Puis donner ces concerts m’a permis de m’apercevoir que, par exemple, c’est l’espace qui devient le paramètre principal. Ce qu’on écoute, ce sont des sons dans l’espace. On se repère, on s’intéresse avant tout à la provenance du son. Ensuite, on s’intéresse au timbre (de quel instrument s’agit-il ?), puis le rythme, puis les harmonies. C’est un renversement de ce qu’il se passe dans une salle de concert. Lorsqu’on est confortablement assis dans une salle, l’écoute est libérée, on peut se concentrer sur le sublime de la musique. Il y a plein d’œuvres magnifiques qui ont été écrites pour ce cadre. Mais, dans une forêt, on est dans une autre situation : on n’est pas dans notre habitat naturel et c’est l’espace qu’on entend en premier. C’est passionnant. Cela change l’écriture musicale, comme la façon dont on accueille le public. Par exemple, on ne parle pas de « musique contemporaine », on évite soigneusement le mot pour que les gens arrivent les oreilles nues. Par conséquent le public ne vient pas particulièrement écouter de la musique de untel ou untel mais plutôt assister à une expérience. La notion d’auteur de la pièce devient donc complètement secondaire, même si chaque artiste va apporter son éclairage personnel sur le contexte. L’écriture devient d’ailleurs volontiers collective : les musiciens eux-mêmes participent beaucoup à la création. Au niveau de la construction formelle, j’ai des conduites : en travaillant dans mon studio, je prévois quand vont arriver les matériaux musicaux. Mais, sur place, tout peut changer. Il faut pouvoir s’arrêter quand un avion passe ou lorsqu’il commence à pleuvoir. En Forêt d’Orient, pour être dans l’instant, j’avais des talkies-walkies. Chaque musicien était équipé d’une oreillette. Je lui donnais des indications. C’était une sorte de sound painting spatial et vocal. »

Photo de têtière : François Mauger
Photo du musicien : Aurèle Guyot
Pour aller plus loin...
Le site web des Nuits des Forêts et la page consacrée à la forêt de Chantilly
Le site web de l'ensemble L'Itinéraire

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