Parce qu’il captait mal dans le petit village de l’Aveyron où il passait quelques jours, Mathias Delplanque a dû grimper sur une colline pour répondre à nos questions. Le panorama l’a inspiré : « J’en faisais l’expérience en attendant votre appel » raconte-t-il. « Quand on se tient face à un très grand paysage, on cherche des repères sans même y penser. On peut être absorbé par quelque chose qui est très loin alors qu’on ne voit pas ce qui est à côté. J’aime ces paysages très complexes, qu’on peut fouiller. »
Sa musique – et notamment celle qu’il publie cet automne dans la série « Mind Travels » du label Ici d’ailleurs – ressemble aux riches horizons qu’il affectionne. « Elle est à la fois contemplative et active. Quand on regarde une grande fresque ou par exemple une grande toile du Monet tardif, l’œil est très actif : il se déplace, il cherche, il se repère. Il se passe un peu la même chose dans ma musique. »
Ce n’est bien sûr pas une coïncidence. Mathias Delplanque, qui s’est longuement essayé à la peinture, a conservé une vision très spatiale de son art. « La notion de paysage sonore a toujours été très importante pour moi » explique-t-il. « Je me suis beaucoup intéressé à Murray Schafer et au field recording il y a une quinzaine d’années. J’ai pris un peu mes distances par la suite. Je me sentais plus proche de Francisco López, qui avait une attitude plus punk, plus complexe. Mais j’aborde toujours la création musicale sous l’angle de l’espace. J’ai fait beaucoup de travaux de mise en espace, d’installations, de performances. Au fond, je conçois la musique comme une mise en espace de sons. Même dans le cadre plus resserré d’un disque, j’aime travailler sur la profondeur, créer des contrastes : devant, derrière, loin, proche… Il faut que le morceau donne la sensation d’un espace dans lequel on peut se déplacer. »
Le nouvel album de Mathias Delplanque s’intitule « Ô Seuil ». Il est composé de 9 plages musicales mouvementées, balayées par le flux et le reflux d’instruments acoustiques (guitares, vielle à roue, gongs, cymbales…) traités électroniquement. Le réel s’y fait discret. « Sur ce disque, les enregistrements de terrain sont cachés, enfouis, mais ils n’en restent pas moins importants pour moi » confie le quadragénaire. « Le premier est un ensemble de cris enregistrés depuis mon balcon pendant le premier confinement, à 20h, lorsqu’il s’agissait de soutenir les soignants. Le deuxième est l’enregistrement d’une personne qui chante en bas de chez moi, également pendant le confinement. Le troisième est en fait constitué de sons récupérés sur Internet, des sons liés à la mort de Steve Maia Caniço, ce jeune Nantais mort noyé un soir de Fête de la musique, en 2019. Des gens ont filmé cette séquence avec leur téléphone. Enfin, il y a des feux d’artifice. »
Ces traces masquées ancrent secrètement les 9 morceaux dans une époque, les années de confinements, et un lieu bien précis : les HLM du quartier Malakoff à Nantes. « C’est le quartier où je vis, un quartier traversé par beaucoup de tensions mais que j’aime beaucoup » reconnait Mathias Delplanque. « Il est très urbain, très minéral mais, juste à côté, il y a une zone qu’on appelle la « Petite Amazonie », une zone naturelle interdite au public, gérée par la Ligue pour la protection des oiseaux ».
Combinant dans un même ciel le soleil et l’orage, l’album invite à imaginer tous les cheminements possibles entre les immeubles et la zone humide. Le seuil, qui donne son nom a chacun des morceaux, numérotés de 1 à 9, prend alors tout son sens : c’est le non-lieu du changement, de la transition, du possible, du danger même. Comme le dit Mathias Delplanque : « Les seuils sont souvent plus intéressants que les espaces où ils mènent. »
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger Photo de l'artiste : Igor Juget
Pour aller plus loin... L'album « Ô Seuil » sur la page Bandcamp de la série Mind travels Deux autres albums de Mathias Delplanque, plus étroitement liés aux paysages : Témoins et Passeports