Des singes hurleurs sauvés par un groupe de hard rockers… L’anecdote fera rire les détracteurs du heavy métal, un genre pourtant populaire (dans tous les sens du terme). Les rieurs ont tort de ne pas prendre au sérieux des musiciens certes marginaux mais souvent très impliqués dans la vie de leur communauté. Le guitariste et chanteur Sylvain Demercastel l’explique dans cet entretien : les adeptes du métal sous toutes ses formes, qu’ils revendiquent l’héritage de Black Sabbath ou de Slayer, sont habitués à s’organiser par eux-mêmes pour diffuser leur musique favorite. Certains se sont également organisés pour fonder une ONG, Savage Lands, qui œuvre pour que la vie sauvage soit préservée au Costa Rica, malgré l‘expansion humaine continue. Les actions de l’association sont financées par la diffusion d’enregistrements. Les explications de son fondateur…
Comment est née l’idée de Savage Lands ?
Sylvain Demercastel : « C’est très simple. Ca fait très longtemps que je suis dans le combat environnemental. Suite au Covid, au Costa Rica, il y a eu une espèce de frénésie d’achats de terrains et de développement immobilier. J’entendais la tronçonneuse tous les jours. Mes petites opérations de reforestation n’étaient clairement plus suffisantes et j’ai appelé Dirk, qui était mon batteur il y a une vingtaine d’années, dans un groupe qui s’appelait Artsonic, en lui proposant de réunir le monde du métal et celui de l’environnement. Il a tout de suite embrayé, parce qu’il était déjà un militant de la cause animale. Il a trouvé l’idée géniale. Il s’est servi de sa notoriété dans Megadeth pour rameuter des artistes autour de ce projet, afin d’avoir plus de force de frappe pour protéger ce qu’il reste à protéger. Pour résumer, ce qui menace les forêts au Costa Rica, c’est essentiellement l’activité humaine et en particulier le développement immobilier. La méconnaissance des logiques d’écosystèmes est profonde. Beaucoup de gens pensent qu’avoir trois arbres dans son jardin, ça suffit mais, en réalité, la destruction des habitats sauvages condamne les mammifères à aller plus loin. Plus loin, il y avait déjà un écosystème. S’ils vont plus loin, ils prennent la place d’autres animaux. Au final, une chute de la biodiversité s’opère. »
A quoi servent les fonds récoltés ?
Sylvain Demercastel : « A deux choses, en fait. Soit on finance des opérations de reforestation, à travers un concept qu’on appelle « My Forest », qui consiste un peu à ramener les parcs nationaux à l’intérieur de nos jardins. On propose aux particuliers de réintroduire des espèces végétales essentielles et rares ou de densifier leur propriété et de recréer un peu un espace forestier. Pour ça, on travaille avec des ONG locales. On fait également, c’est le deuxième axe, de la sanctuarisation. On participe à un achat de terre avec des particuliers et les particuliers nous donnent une servitude écologique sur 80 à 90 % du terrain. C’est leur terrain mais ils n’ont pas le droit d’y toucher et c’est nous qui administrons la partie naturelle du terrain. Ça permet de sauvegarder des endroits qui auraient été, sans cela, aménagés soit en lotissements, soit en jardins, au risque de voir disparaître les zones où les animaux peuvent se nourrir, se cacher et se reproduire. »
Comment le monde du métal a réagi ?
Sylvain Demercastel : « Plutôt bien, si on en croit tous les soutiens qu’on a reçus. De Gojira à Obituary, en passant par tout un tas de groupes français plus ou moins connus, comme Red Gordon, qui a monté une opération de crowdfunding pour nous, Akiavel, qui nous a permis de monter sur scène au Hellfest, Loco Muerte, qui sont devenus des potes et qui ont fait beaucoup de choses, Tagada Jones, qui nous a aidés, Loudblast, dont un membre, Stéphane, est devenu notre manager… Super réaction ! Et on pense que ça va continuer. De gros noms s’approchent de nous et sont motivés pour nous soutenir. »
Le premier titre publié réunit déjà Dirk Verbeuren (Megadeth), Sylvain Demercastel, Andreas Kisser (Sepultura), John Tardy (Obituary), Poun (Black Bomb A) et Etienne Treton (Black Bomb A). Est-ce que cette formation est destinée à durer ?
Sylvain Demercastel : « Evidemment, on va faire plusieurs titres. On a des membres permanents, Poun et Etienne. On a l’aide de Florian, qui joue dans Loco Muerte, et d’Aurélien Ouzoulias, avec qui on avait initié un projet musical. On essaiera d’avoir des guests sur la plupart des chansons. Il y a déjà pas mal de noms qui sont en train de se proposer. Au final, on va enregistrer un album, dont, évidemment, toutes les royalties iront à l’ONG, à la reforestation ou à l’acquisition de terrains. »
D’une façon plus générale, le milieu du métal est-il sensible aux questions écologiques ?
Sylvain Demercastel : « Oui, le milieu du métal y est sensible. De toutes manières, aujourd’hui, tout le monde y est sensible. Après, la vraie question est : qu’est-ce qu’on fait ? Comment on le fait ? Comment embarquer les gens dans des projets sympas ? L’écologie, c’est souvent déprimant. On essaie d’avoir une approche qui permet aux gens de se sentir impliqués, même s’ils n’ont pas forcément ni le temps ni les moyens d’agir. Ce qu’on aime bien dire, c’est qu’écouter la musique qu’on produit, c’est déjà donner, puisque les royalties vont à l’ONG. Le streaming permet de récolter des fonds. Il y a plein d’autres manières de s’impliquer. On peut monter ses propres projets. Nous, on essaie de soutenir tous les gens qui ont des idées. Oui, le milieu du métal est un milieu dans lequel les gens ont l’habitude de monter leurs propres projets, leurs associations, de se battre pour une musique qui n’est pas forcément facile à diffuser. Des jeunes montent leur groupe, leurs petits concerts locaux, leur festival. C’est un milieu très actif, il n’est pas uniquement consommateur de musique. C’est, je pense, le milieu idéal pour initier des projets comme celui-ci. On a vu que l’accueil est super bon. Ce projet, ce ne sont pas des musiciens qui donnent à une ONG, ce sont des musiciens qui créent une ONG. On devient l’ONG de référence pour le milieu du métal. Ça paraît cohérent d’embarquer tout le monde avec nous et d’essayer d’être le plus bruyant possible, ce que les métalleux savent faire. C’est beaucoup de boulot, beaucoup de temps, beaucoup de fatigue mais ça en vaut la peine… »
Photo de têtière : Lisacks (via Pixabay)
Pour aller plus loin... Le site web de Savage Lands